Un verre à la santé de personne

[Libre à qui veut ^^]

Lavender n’avait rien de mieux à faire ce soir-là que de passer la nuit à parcourir, sans but, les rues et les ruelles de Neven. Et c’est justement ce qu’elle faisait. Traînant ses pieds, oubliant toute notion de subtilité alors qu’elle n’était nullement en service et ne craignait rien ni personne, elle erra pendant quelques heures, jusqu’à ce que le soleil ait complètement dénué le ciel de ses rayons bienfaiteurs. D’un point de vue personnel, elle préférait la nuit : c’était le moment idéal pour sortir de sa cachette, pour accomplir ses méfaits, tous plus lucratifs les uns que les autres…
Un sourire à la fois carnassier et amusé apparût sur ses lèvres fines, teintées d’une délicate couleur rose. Ses pas nonchalants la menèrent jusqu’au seuil d’une taverne qu’elle fréquentait à l’occasion, et où elle avait souvent dû faire escale pour trouver les cibles de ses clients.

Elle se retint un moment d’entrer, une main sur la poignée. Comme sa mère, paix à son âme, elle avait la fâcheuse habitude de boire jusqu’à ce que ses membres ne lui obéissent plus, menant ainsi parfois à des actions qu’elle regrettait, mais qu’elle ne pouvait théoriquement pas empêcher, à moins de se limiter. Ce qui n’était, vous l’aurez compris, pas son habitude.

*Bon, juste quelques petits verres et après je rentre. J’me suis fait plus de Couronnes qu’escompté avec le dernier contrat, j’pourrais bien en profiter…*

Décidée et fière d’avoir pu s’entendre avec sa bonne conscience, elle entra d’un bon pas. L’heure n’était pas très avancée, mais le tapage était déjà bien entamé. Les restes d’une chaise jonchaient le sol, et un homme en sang fonçait droit vers la porte, devant laquelle Chance était postée. Elle eut juste le temps de faire un pas de côté pour éviter de se faire foncer dessus, mais pas assez grand pour éviter que du sang vienne tacher sa tunique, elle suivit l’homme des yeux alors qu’il s’en allait en chancelant dans les rues mal éclairées, puis la porte se referma.

D’un coup d’œil dédaigneux, elle avisa la maculature rouge vif qui s’était imprégnée dans son habit noir. Avec un soupir excédé, elle s’adressa au tavernier, sans ménager ses mots.

« Hey ! M’faut un truc pour nettoyer le sang que c’t’arriéré m’a bavé dessus ! » l’interpella-t-elle, assez fort pour qu’il l’entende dans le brouhaha de l’endroit, d’un ton sec et sans appel.

Il accéda à sa requête – ou plutôt, à son ordre –, et lui lança par-dessus le comptoir un vieux chiffon troué à peine humide. Chance faillit exiger quelque chose de mieux, mais n’avait pas envie de s’obstiner. Elle avisa une chaise, poussée sous une table, non loin de là, la tira sans ménagement et s’y assit avec une certaine délicatesse, cependant saccadée par l’irritation sous l’influence de laquelle elle était. Elle frotta avec conviction l’endroit taché de sang, un peu plus bas que l’épaule, mais finit bien rapidement par abandonner. L’hémoglobine s’était déjà incrustée dans le tissu, déjà de qualité plutôt médiocre, et ne partirait sans doute jamais. Elle soupira de nouveau, puis fit une boulette avec le torchon humide, qu’elle lança à la tête du tavernier dès qu’elle le revit.

« Deux verres de ce que t’as de plus fort, s’te plaît. »

Elle s’étonnait elle-même : elle avait même pris la peine d’adresser des politesses à l’aubergiste, qui lui fit porter deux verres d’un alcool complètement transparent, mais dont seules les effluves effleuraient les sens de la demoiselle. La serveuse était une plantureuse jeune femme, visiblement pas beaucoup plus vieille qu’elle, qui lui adressa un sourire en tendant la main.

« C’est deux Couronnes ! »

Chance farfouilla dans sa sacoche, laissa tomber les pièces dans la main de la serveuse, qui repartit. Chance ramena ses pieds sous la table, croisant une jambe par-dessus l’autre par la même occasion, et observa un moment les deux verres. Elle ferma les yeux, les lèvres pincées, prit un verre et poussa l’autre vers un interlocuteur invisible, qui n’y toucherait sans doute pas.

« À ta santé. » fit-elle en trinquant dans le vide, avant de prendre une longue lampée du breuvage clair, qui lui tira une grimace.

C’était pas mauvais, mais fort. La soirée ne serait pas longue.

Le lieutenant marchait calmement dans les rues de Neven quand un homme le bouscula, Sympa le rattrapa par le col et le ramena brusquement devant lui. Ses yeux se plissèrent quand il comprit que ce dernier était aveuglé par le sang qui lui coulait dans les yeux. Pourtant quand le pauvre ère comprit qu'il était face à un des sombres dragons, ses yeux s'agrandirent soudainement et sa bouche forma un O parfait. Sympa relâcha sa poigne, pensant qu'il avait eu affaire avec un de ses immondes mercenaires qui n'avaient ni honneur ni véritable maître. Glacial comme la nuit qui les enserrait, il questionna l'homme blessé qui lui avoua qu'il s'était pris une chaise sur le coin de la gueule dans la taverne Du joyeux chien de guerre qui était à l'angle de la rue suivante. Sympa haussa un sourcil avant de lui proposer de le reconduire chez lui. Invitation que l'homme déclina prestement avant de s'enfuir de nouveau dans les ruelles mal éclairée. Le dragon regarda sa silhouette se fondre dans l'obscurité avant de décider de faire un petit tour à cette taverne.

Elle ne fut pas difficile à trouver, même si Sympa se promenait rarement dans le Second Cercle, préférant largement les rues du troisième cercle où il était plus utile et n'empiétait pas sur les fonctions des Gris. Les lieux sentaient l'alcool et le sang à des mètres. Et le Lieutenant était un spécialiste pour repérer cette dernière sensation qui flottait dans l'air comme un étendard pourpre et qui ne demandait qu’à être suivis.

Quand Sympa entra dans l'auberge, tout le monde se tut. Les regards se fixèrent sur l'armure aussi noire que les plumes d'un corbeau. Le patron arrêta d'essuyer son verre et darda le regard vers le dragon. Un représentant de l'armée impériale dans son échoppe n'était jamais bon. Dans le meilleurs des cas il s'agissait juste d'un soldat qui venait boire un coup et alors tout les soiffards restaient juste plus discret dans leur manière de se casser des chaises sur la tête, soit c'était un soldat qui faisait un excès de zèle et qui cherchait à embarquer quelqu'un dans les geôles pour remplir son quota. Alors quand en plus il s'agissait d'un dragon, qui était habituellement dans les plus haut cercle, ça risquait carrément de faire fuir toute la clientèle. Mais comme à l'accoutumer, les gens faisaient comme si de rien n'était, du moins en apparence, essayant tous de ne pas avoir un comportement suspect.

Les prunelles de Sympa glissèrent sur la chaise à moitié cassée qui traînait par terre et les quelques gouttes de sang qui avaient maculé le sol crasseux juste sous ses pieds. Il transperça la foule sans un bruit, sa main gantée posée sur une arme de service plus légère qui pendait à se ceinture et s'approcha du comptoir. Aussitôt le propriétaire vint à se rencontre et lui demanda si il voulait quelque chose. Sympa répliqua sèchement qu'il n'était pas venu pour boire, il venait chercher le responsable d'une autre bagarre comme il y en avait tant dans ces putains de tavernes de soûlards. Le patron, quand même étonné, qu'un dragon vienne perdre son temps pour de telles histoires lui servit quand même un verre d'assez grande taille, plein d'un liquide jaunâtre clair. Sympa y jeta un œil avant de pousser le récipient du coin du pouce.

« 100% naturel hein ? »

Il recula du comptoir et commença à arpenter la pièce sous le regard des attablés. Même si certains continuaient à discuter, la plupart avait baissé le ton de la voix pour ne pas se faire remarquer. Quand il passa près de la table d'une jeune femme, il assista à un drôle de manège. Elle semblait parler toute seule. Sympa se saisit du verre abandonné et le vida d'un trait avant de répliquer.

« À la votre aussi »

Il se glissa à la table, étonnement agile dans son armure, qu'il n'avait pas revêtu entièrement d'ailleurs. Froid comme la glace, il pointa de son doigt le col de la jeune femme ou résistait encore une petite tache rouge. Et de l'avis de Dragon, elle était récente.

« Je ne doute pas que dans votre pays natal, le rouge soit très à la mode. Mais ici, cela vous fait passer pour encore plus pouilleuse qu'en temps normal et ça attire l'attention. Dîtes moi, cet homme qui courait dans la rue, il n'aurait pas, par hasard, rencontré très fortuitement le coin de votre chaise ? »

Il posa les coudes sur la table, relâchant la main qu'il avait sur son arme.

« Mais si c'est votre ami imaginaire que je suis en train d'écraser qui est le responsable, je ne crois pas que ce sont les geôles que vous allez visiter. »

Effectivement, l’entrée du lieutenant dans la taverne n’avait pas été passée sous silence. Ou du moins, si, d’une façon : l’endroit était devenue aussi silencieux qu’un caveau, et tous les yeux s’étaient tournés sans gêne vers le nouvel arrivant. Il fallait l’avouer, même la très jeune Chance l’avait suivi des yeux, avant qu’il n’aille s’accouder au comptoir, puis avait tout simplement rapporté son attention sur son verre à moitié vide (elle était pessimiste : son verre n’était jamais à moitié plein), et l’avait fait tourner sur lui-même, le tenant par la base.

Elle n’avait pas prévu que l’homme en armure viendrait s’asseoir à sa table, par contre. Et encore moins qu’il vide d’un seul trait le verre qu’elle se réservait, lorsqu’elle aurait terminé le premier. Elle leva un regard à la fois étonné et curieux vers le visage de l’homme, pour finalement remarquer qu’il n’était pas simplement un mercenaire, comme la plupart des gens qui venaient à cet endroit. Elle n’avait certes pas la langue dans sa poche, mais dut se retenir de ne pas hurler contre l’homme, pour avoir simplement violé son espace personnel.

Le lieutenant s’était alors mis à lui déblatérer un discours sur la tache qu’elle avait sur sa tunique et sur la chaise pleine de sang qui gisait, à moitié cassée, non loin de là. L’écoutant d’une oreille distraite, mais le regardant directement dans les yeux, elle finit son verre d’un trait quand il se tut, en posant ses coudes sur la table, qui vacilla légèrement. De toute évidence, les pattes n’étaient pas égales.

« Si je comprends bien, vous êtes en train de m’accuser d’avoir frappé un gars avec une chaise, mais en utilisant des grands mots et de belles phrases c’est ça ? » fit-elle d’un ton uniforme, qui reflétait parfaitement le je-m’en-foutisme (qui aurait très bien pu passer pour de l’arrogance, bien que ce n’était pas le cas) dont elle faisait preuve.

Elle jaugea du regard l’homme en armure. Son visage au teint fantomatique était barré de cicatrices, ses yeux gris perçants, beau mais visiblement aigri, ou du moins, c’était ce qu’elle en déduisait. Il avait l’air jeune, mais sa voix et ses paroles trahissaient une certaine ancienneté. Le fixant de ses prunelles vert d’eau, elle ne dit mot jusqu’à ce qu’il renchérisse, en lui parlant d’un ami imaginaire et de la prison.

« D’un, mon ami imaginaire a préféré m’attendre à la maison », plaisanta-t-elle de mauvaise foi, un sourire narquois aux lèvres. « Et de deux, je ne vois pas ce qui pourrait m’arriver de pire que de me faire voler un verre par un homme en armure, payé avec de l’argent durement gagné, si jamais j’avais fait quelque chose. » poursuivit-elle, sans changer d’air, sans pouvoir se décider si elle était ahurie, choquée ou en colère.

Visiblement, elle ignorait avec qui elle parlait, et ça ne pourrait que lui attirer des ennuis, à moins que le lieutenant ne se sente d’humeur clémente ce jour-là, ou qu’il finisse par la trouver jolie et sympa et qu’il lui offre un autre verre. Bah, quoi, elle pouvait bien rêver ! Elle était bien loin d’être gentille, la petite Chance. Elle leva le bras et commanda un autre verre de la très forte boisson que lui avait apporté la serveuse, quelques minutes à peine auparavant. Elle lui lança une couronne lorsqu’elle posa le verre sur la table, qu’elle engloutit presque en totalité d’une seule et unique lampée.

« Vous devrez m’excuser de ne pas vous payer à boire; voyez-vous, je n’ai pas l’habitude ni la générosité d’offrir quoi que ce soit à quiconque. »

On sentait bien dans son ton qu’elle était plutôt amusée par la situation, mais il fallait dire qu’elle ne disait que la vérité sur ce point. Lavender n’était pas d’un naturel altruiste ou galant, aussi n’allait-elle pas se forcer. Un sourire sincère - ou du moins en avait-il l’air - dévoilant ses dents de perle, la tête légèrement inclinée sur le côté, qu’elle adressa directement au lieutenant, précéda la dernière gorgée de la boisson alcoolisée du second verre.

[C'est très moyen, je m'en excuse ^^"]

La Taverne du Joyeux Chien de Guerre. Un repaire d'ivrognes, de soulards, de brigands et de psychopathes en tout genre.Le genre de coin où aucune personne d'un tant soit peu d'intelligence ne se risquerait à mettre les pieds. Bref, un endroit parfait pour se relaxer devant une bierre barbare bien fraiche, selon le point de vue de Ka'Cendre. La grande Prêtresse entra peu après le Dragon, s'attendant à trouver une joyeuse bagarre bien entamée, vu l'heure tardive. Elle en fut pour ses frais. Si bagarre il y avait eut, elle s'était échouée comme le navire de Tempest après la pire des tempêtes. Et selon les critêres de la mercenaire, ce'st que quelque chose clochait. Par le Chaos, comment se faisait-il que personne ne se lance des chaises à la gueule, alors qu'on était en pleine nuit et que l'ambiance de couvre-feu au-dehors attisait les passions ? C'était sûrement la faute d'un Disciple. Ou d'un de ces connards d'mpuissants de Dlethril. Mouais, c'était probablement l'un des deux qui avait fait retomber l'ambiance. Ou pire encore, un dlethril renégat qui avait rejoint le camps d'Azura avant que ceux-ci ne se fassent écraser comme des fruits trop murs sous un marteau de Forgeguerre par les Rêveur. Une délectation sans précédent s'empara de Ka'Cendre alors qu'elle se remémorait cette histoire. Par Ardankellyon, ce qu'elle pouvait les détester, ces crétins de Disciples... Encore quelques Fleurs à massacrer et Neven deviendrait un paradis. Ah ! Et les indépendants aussi. Chiasserie, on en avait jamais finit.

Bon, apparament, pas de ces rats d'égout à l'horizon. Domage, Dendrelle avait soif de sang ce soir, et sa maîtresse n'aurait pas été déçu d'en empaler un ou deux sur la fine lame de sa rapière. Traversant la taverne dans un silence qui rappelait sans difficulté un champs de bataille à l'agonie (encore que non, ya parfois des râles de Lesrupéens dans les champs de bataille. C'est rigolo comme bruit d'ailleurs.), elle s'arrêta en plein milieu et toisa l'assemblée avec un regard méfiant. On aurait dit qu'elle cherchait l'imbécile qui aurait oser lui voler sa chope pendant qu'elle auraiteut le dos tourné. uis, soudain, sans prévenir, elle se jeta sur un homme qui ne demandait rien à personne, et s'installa à coté de lui avant de le prendre par les épaules dans un geste qui se voulait de franche camaraderie. Ce qui n'empêcha pas le bonhomme sus-nommé de trembler de peur.

"Toi et moi, on va être potes. A vie si tu veux ! Bon, faudrait que tu pries Ardan trois fois par jour, mais jsuis pas là pour ça. Encore que... Mais bref. Tu vas me dire qui c'est qui a fait retomber l'ambiance. Que je lui fracasse une table sur le crâne. Ca me détendra."

L'homme, un ivrogne avec une tache lie-de-vin sur la figure, secoua la tete avec un air effrayé. Visibement, c'état pas la question à poser ce soir là. Bordel, on pouvait même plus décement s'amuser !

"Hey ! On est amis maintenant ! Tu peux tout me dire, t'a rien à craindre ! Et au passage tu ferais mieux, sinon jpasserais bien mes nerfs sur toi. Jsuis connu tu sais, t'aura pas d'emmerdes tant que tu seras dans mon sillage. Fait-moi confiance et dit-moi qui a foutu ce boxon !"

Se résignant, l'homme se pencha à son oreille et lui murmura l'info qu'elle cherchait. Ne serait-ce que pour qu'elle parte dans l'instant, l'importune. Elle se leva d'ailleurs, l'air encore plus méfiant. Par les Quatre Aspects de l'Entropie, une saloperie ! Un putain de cochonnerie de Dragon qui était descendu de son perchoir ! Mais ça vie pas en altitude avec la boss ces horreurs ?!

Elle s'approcha de Sympa avec une détermination que n'entachait qu'à peine les quelques grammes qu'elle avait déjà dans le sang, et le toisa avec le pire regard méprisant qu'elle eut pu concevoir. Et c'était déjà assez artistique. Un regard qui faisait penser à celui d'un ornithorynque dépressif croisé à celui d'un lama atteint de bronchite chronique. Violent.

"Parait que c'est toi qui a pourrit la soirée, spece d'enfoiré de créature vénéneuse innomable ?"

Ah mais il manquait un détail ! Ce que Ka'Cendre remarqua immédiatement. Elle fit volte-face vers le tenancier et hurla.

"UNE BIERE, BORDEL DE MERDE, J'AI SOIF !"

« De grands mots et de belles phrases ? Non, c'est du Neven. Peut-être parlez-vous un argot qui correspond à votre niveau mademoiselle. »

Aussi froid que la mort, le lieutenant restait très calme. Écoutant la jeune femme qui le narguait en face, qui le narguait oui, en tout cas Sympa le ressentait de cette manière et quand elle insinua qu'elle ait pu gagner de l'argent honnêtement, il hocha de la tête avant de répondre.

« Durement gagné, je vous crois, je ne pense pas qu'une jeune femme de votre genre ait énormément de possibilité de carrière dans cette ville. Mais les militaires rentrant de longues campagnes doivent vous plaire. »

Il fouilla dans la bourse accrochée à sa ceinture et en sortit une couronne qu'il posa sur la table et fit glisser du bout du doigt jusque devant la jeune femme. « Pour le verre » précisa t-il avant de reprendre une position stricte et hautaine, jaugeant la jeune femme comme il le pouvait. De jeune femme, elle semblait presque une enfant, des cheveux bruns tirés dans une coiffure sage, un regard auquel il manquait encore quelques années. D'un coup Sympa se demanda si elle pouvait bien avoir fracassé la tête de ce pauvre quidam avec la chaise, aurait-elle même eu l'intention de déclencher une bagarre. Néanmoins deux points clochaient, à son âge, peu importe soit-il, que faisait-elle seule dans une taverne de nuit et surtout cette tache de sang sur son vêtement était diablement réelle.
Même si Sympa ne brillait pas par son impartialité, qui devait être aussi légendaire que ceux des Talith, il se doutait que quelque chose devait clocher. Et puis, ramener quelqu'un dans les geôles occuperait sa soirée qui manquait singulièrement de personne à effrayer.

« Alors dîtes moi ce que vous.. »

Mais alors qu'il allait reprendre sa phrase, il fut interrompu par le juron particulièrement construit et habile d'une jeune femme qui tanguait légèrement. Relevant un regard étonné il fut étonné de découvrir quelqu'un qui tranchait avec le décor de cette taverne. Elle semblait tout droit sortit d'un de ses livres de conte de dieux fléaux et Sympa se demanda un instant ce qu'elle pouvait faire là. Mais particulièrement impressionnante ou pas, elle l'avait insulté. Il fronça à peine les sourcils..

« Et bien, venir à ma rencontre, spécialement pour me charger de compliments. Mais je crois que de nous deux, je ne suis pas le plus vénéneux. »

Il se leva brusquement, la main sur son arme et le silence retomba de nouveau dans l'échoppe. Ceux qui avaient recommencé à parler se turent de nouveau, cette fois plus pour admirer le spectacle. D'un geste de la tête, Sympa désigna le comptoir et la bière qu'une serveuse apportait.

« Va cuver ton pinard ivrogne, où je t'assure que tu regretteras d'avoir insulté un de ceux qui protège ta minable carcasse des attaques des autres continents pendant que tu chiales de peur dans ta maison. »

« Va cuver ton pinard ivrogne, où je t'assure que tu regretteras d'avoir insulté un de ceux qui protège ta minable carcasse des attaques des autres continents pendant que tu chiales de peur dans ta maison. »

Il y eut un instant de blanc pendant lequel Ka'Cendre tenta de démêler le sens des paroles de l'enfoirés qui venait de lui cracher ça à la figure. "Pendant que tu chiales dans ta maison" ? C'était quoi l'idée là ? Une erreur sans doute, le noiraud ne pouvait certes pas ignorer qui elle était. Grande prêtresse d'Ardankellyon, voyons, ça ne s'oubliait pas ça ! Par les Sept Strates des Enfers, elle était connue dans la ville, depuis le temps qu'elle y squattait sans vergogne. Surtout dans les bars qu'elle écumait chaque soir depuis 86 ans, et ce, même en période de guerre. A moins que...

Crédidiou ! Mais c'est qu'il se moquait d'elle, le repoussant ! Ce n'était qu'à peine envisageable, et encore moins admissible. Ou admetable. Encore que si l'on admettait que la table était une cible... Ou une ssible... c'était textuellement pas correct.

Bref. Un peu d'action. On se fait chier là. Y spasse rien. Scénariste de merde.

Ka'Cendre attrapa la chope sur le plateau qu'apportait la serveuse dans un mouvement dont l'amplitude menaça directement trois ou quatre personnes qui s'étaient approchées en silence. Elle la contempla avec un air ravi pendant quelques instants, puis la porta à ses lêvres. Pour l'avaler cul sec. Nan mais dit-donc, faut bien se désaltérer un peu ! Puis elle reposa la chope sur le plateau en y ajoignant un pourboire appréciable. La serveuse sourit en se fendant d'un "Merci, Dame Meridia." La Dame en question se tourna vers son interlocuteur du moment, non sans avoir bizarrement contemplé la jeune demoiselle assise à la même table que lui. Sauf que lui était debout. Enfin vous comprenez. Du moins j'espère. Sinon on est pas dans la merde, tiens...

D'ailleurs elle était vachement jeune cette fille. Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien foutre ici ? Faudrait examiner son esprit vite fait après cette discussion.

"Dame Meridia. Ka'Cendre, pour être exacte. Grande Prêtresse du Rêve d'Ardankellyon, puisse-t-il se réveiller avant l'aube. Tu vois, Lézard, c'est pas toi qui défend cette putain de ville. T'es simplement le second couteau qu'on utilise par défaut quand mes compagnons et moi sommes indisponibles. Tu saisis ? Quand nous massacrons les démons pendant que tu te terres là-haut, avec Constance, tremblant de terreur à l'idée que vos jolies hallebardes magiques ne suffisent pas à retenir la marée de sang."

Elle leva soudainement le bras et poussa le Lieutenant en un éclair, le renvoyant dans le bois de sa chaise. Puis, tout aussi rapidement, elle s'installa sur ses genoux, posa les pieds sur la table, et fit un clin d'oeil en tirant la langue à Chance. Dans le style chiante, elle se posait là.

"Ou encore quand les tiens tentent de me massacrer et réduisent mes Templiers en une montagne de cadavres. T'excite pas, jeunot, les dragons étaient à cinq contre un, et ils ont morflés. T'es ptete même pas au courant de cette histoire, mais ça la fout mal quand même, hein ? Des impériaux qui attaquent une compagnie alliée, même pas sédisieuse. C'est pas vraiment honorable, non ?"

Puis elle se releva et le regarda droit dans les yeux, son visage à quelques centimètres du siens.

"J'ai du mal à me souvenir de la dernière fois que vous les avez affrontés, les autres continents. Moi, c'était la semaine dernière. Alors je crois que fermer ta grande gueule serait la meilleure chose à faire. C'est pigé, l'abominable ?"

Chance ne releva même pas la remarque première du Lieutenant, alors qu’elle s’amusait à faire des motifs de cercles sur la table, avec la condensation qui coulait du verre. Visiblement, elle n’avait rien à faire de tout ce que l’homme pouvait lui dire, mais se contentait de rester muette pour éviter de déclencher un incident quelconque. Après tout, elle n’avait pas envie de se battre (ou plutôt, de se faire battre) par un colosse de l’armée. Elle qui était plutôt agile, mais loin d’être forte physiquement, elle aurait du mal à s’en sortir, sauf par la fuite.

« La prostitution est un boulot comme un autre, monsieur. » fit-elle avec désinvolture. « Malheureusement, si c’était une invitation implicite, je dois refuser, étant donné que mes activités se résument à autre chose. Mais j’ai beaucoup de contacts dans ce milieu. »

Elle lui sourit comme l’aurait fait une enfant d’à peine cinq années de vie, mais accepta sans rien dire la pièce que lui tendait le Lieutenant. Chance vit, derrière l’homme, une femme de grande stature (de son point de vue du moins) qui avançait à grands pas, furieuse et déterminée. Ça sentait les ennuis. Sympa se leva brusquement : ça empestait les emmerdes, maintenant.

L’encore très jeune demoiselle qu’était Chance écouta à distance l’échange empoisonné entre les deux personnes. Elle fit signe à la serveuse, qui tenait la bière demandée par la dame, de lui apporter un autre verre, qu’elle lui apporta dans le plus grand silence, en échange de la pièce qu’elle venait d’acquérir, et l’employée alla se reposter là où elle était précédemment. Juste à temps d’ailleurs, puisque la femme qui tenait tête au Lieutenant avala d’une traite la chope. Respectable, jugea Chance.

Cette dernière faillit d’ailleurs éclater de rire quand Ka’Cendre fit s’asseoir par la force l’homme, s’assit sur ses genoux et lui adressa un clin d’œil. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire amusé, qu’elle ne refoula pas, avide d’entendre plus de la conversation. D’ailleurs, il semblait que tous étaient dans son cas : la taverne était si silencieuse, qu’on aurait entendu une mouche se poser dans une bière.

Chance se surprit à espérer que le Lieutenant oublierait sa présence. Elle avait senti, plus tôt, son regard d’acier peser sur elle comme si on l’avait équipée d’un double fléau et qu’on l’avait accroché autour de son cou, comme une écharpe. Bref, pas très agréable. Et avec Ka’Cendre, Chance doutait qu’il aurait le temps de la réprimander encore longtemps et s’en réjouit. Elle s’étonna même lorsqu’elle se dit qu’elle devrait payer à boire à la femme, toujours assise sur les genoux du Dragon… mais ôta cette idée de sa tête. Avec cet aperçu de comment elle buvait, elle se ruinerait sans doute.